Lors de la première conférence de presse depuis son retour au Japon, le journaliste indépendant Jumpei Yasuda a raconté de vive voix, ses quarante mois de captivité en Syrie.
« Je regrette d’avoir impliqué le gouvernement japonais dans l’affaire », a dit Jumpei Yasuda, vendredi 2 septembre, devant le Club national de la presse du Japon, après trois ans et quatre mois de détention en Syrie. Durant la conférence de presse, qui a duré plus de deux heures et demi, M. Yasuda s’est adressé à une centaine de journalistes, et a détaillé son parcours en Syrie après avoir franchi à pied la frontière turque en juin 2015. « Je voulais en savoir plus sur l’État islamique », a-t-il dit.
Depuis la confirmation de sa libération le 24 octobre, un flot de critiques se déverse sur les réseaux sociaux, au sujet de son départ malgré l’interdit gouvernemental de se rendre dans des zones troublées. Le journaliste y est la cible d'invectives blessantes, telles que « anti-citoyen » ou « élément perturbateur de la société ». A une question posée à ce sujet, M. Yasuda a répondu : « il est normal que les gens me critiquent, (…) j’en suis entièrement responsable ». Au Japon, les journalistes et les volontaires humanitaires sont souvent critiqués pour avoir été pris en otage durant leur mission dans des pays à risques. En 2004, pendant la Guerre d’Irak, une organisation terroriste a kidnappé trois Japonais, demandant à Tokyo le retrait des Forces d’autodéfense présentes sur le sol irakien et la cessation des missions humanitaires. M. Yasuda, qui est devenu journaliste indépendant en 2003 pour couvrir ce conflit, fut lui-même otage pendant trois jours à Bagdad. C’est la raison pour laquelle, durant la conférence, il est resté intransigeant sur l’importance qu'il y a assurer la couverture médiatique depuis les zones de conflit. Mais à la question de savoir s’il continuerait ce genre de reportages, il a répondu « je ne suis pas certain ».
Un document a été distribué pendant la conférence de presse, détaillant ses quarante mois de détention en Syrie.
Il est entré en Turquie fin mai 2015, où il a pu consulter des documents de l’Armée syrienne libre sur l’organisation État islamique (EI). Il a alors décidé de se rendre en Syrie pour une vingtaine de jours afin d'observer la situation. Parvenu à une ville turque frontalière, son guide lui a suggéré de suivre deux inconnus pour passer la frontière, tout en trouvant cela « étrange ». Peu après son passage en territoire syrien, les deux hommes l’ont saisi par les bras et forcé à monter dans une camionnette, réalisant à cet instant avoir fait une « erreur stupide ». Ses ravisseurs ne lui ont jamais révélé leur affiliation, mais il estime qu'il s'agissait vraisemblablement de militants du mouvement Hayat Tahrir Al-Cham, anciennement Front Al-Nosra, proche du réseau Al-Qaida.
Dès le 23 juin 2015, il est détenu dans une maison résidentielle. En dépit de la chaleur étouffante dans la pièce qu’il a lui-même qualifiée de « sauna », il passait environ six à dix heures par jour devant la télévision. Puis il a été transféré sur un autre site et, fin juillet 2015 ses ravisseurs le préviennent qu’une rançon allait être demandée au gouvernement japonais. M. Yasuda est alors certain que les autorités japonaises -- avec qui les membres du groupe disent négocier -- ne donneraient pas suite. Vers la fin décembre 2015, les négociations prennent fin et ses ravisseurs deviennent alors agressifs. « Pendant plus de six mois, ils ne m’ont pas laissé me laver. Ils me donnaient des conserves, mais pas d’ouvre-boîtes ».
En juillet 2016, il est transféré dans un vaste centre de détention, dans lequel il reste confiné près de huit mois dans une cellule de 1,5 mètre de long. Il ne pouvait même pas allonger ses jambes pour dormir, mais il est autorisé à tenir un journal. « Je vivais dans la peur permanente de ne jamais m’en sortir ou d’être tué ». Il estime que les principaux détenus étaient des soldats du régime de Bachar Al-Assad, et des combattants de l’EI. Durant sa détention dans ce camp, il a entendu des cris, très probablement dus à des tortures.
Le 22 octobre 2018, après avoir été détenu au total dans dix endroits différents, sa libération lui est annoncée. Il repasse en Turquie le lendemain matin, et suppose qu’il doit son salut à l’agence de renseignement turc. Il s’est adressé à quelques médias durant son vol de retour au Japon, évoquant les abus physiques et psychologiques subis durant ces trois années et quatre mois de captivité. Il est arrivé à l’aéroport de Tokyo-Narita le soir du 25 octobre.
Pour sa part, le gouvernement japonais a confirmé la libération du journaliste le 24 octobre, et par l'intermédiaire du Secrétaire général du Cabinet, Yoshihide Suga, a dénié le paiement d'une rançon.
Sources : Mainichi-Shinbun, Kyodo News, Sankei-Shinbun, Le Monde, Huffington Post, Japan Times, Nippon TV
Comments